Chapitre 1

Tout va bien, vous êtes en vie...

Je ne comprends pas les hommes. Pour moi, ils sont étranges et je n'ai jamais pu me faire à leurs contradictions. Regardez les... Ils courent dans tous les sens pour des choses qui n'en valent pas la peine. Ils s'acharnent la plupart du temps à aimer des gens qui les rendent malheureux, et ils amassent des fortunes dont ils ne profitent pas. Par dessus le marché, après trente ans de cette vie de dingues, ils vous disent que, si c'était à refaire, ils s'y prendraient exactement de la même manière. C'est étrange vous ne trouvez pas?

Ils sont si petits, radins, étriqués, rabougris, incapables de réfléchir ou d'avancer longtemps dans la même direction, prêts à renoncer au moindre vent contraire, et souvent peu sûrs de leurs goûts comme de leurs décisions. Ils sont comme ça : plus fragiles que des verres de cristal. Ils réagissent comme s'ils étaient suspendus à des fils. Un jour blanc, un jour noir. Comme ces poupées indiennes à deux têtes. Vous savez, celles qu'on fabrique pour le carnaval à Katmandou. Et le plus fort, quand on les interroge, c'est qu'ils disent qu’ils se sentent libres.

Michel Ange avait raison, le mouvement perpétuel existe. Il est là. Dans cette agitation permanente qui traverse les siècles sans jamais s'arrêter. On est entourés de foules et elles s'écoulent sur vous. Pour toujours. Au milieu d'elles, une seule chose à faire : disparaître. Tout doucement. Surtout ne pas courir le risque de se singulariser. On vous le reproche férocement. Impossible de nager à contre courant, sauf si vous êtes adepte des suicides prématurés. Si vous prenez le risque d'appeler un chat un chat, vous avez intérêt à vous expliquer. Sinon, c'est le passage à tabac et la relégation dans les profondeurs du classement. Il y a très peu de gens qui sortent la tête de la nasse.

Je me pose plein de questions sur les hommes.

Cette façon qu’ils ont tous de choisir un moyen bien à eux d'échapper à ce qui les entoure. Il y a toutes sortes de ficelles : l'obsession qu'ont certains à dessiner des sexes de femmes, comme pour rejoindre un endroit caché sous la terre. Celle de transformer des hectolitres de pastis et de vodka au bar du coin. Ceux qui se tuent au travail, ceux qui voyagent, ceux qui se coupent du monde ou ceux qui se grillent les yeux sur leur jeu vidéo. Tous cherchent une manière plus ou moins élégante d'alléger l'addition...

Comment ont-ils fait pour bâtir des villes, détourner des rivières, conquérir des empires et aller sur la lune avec cette angoisse en eux ? Il y en a toujours un au bord de la route en train de sangloter. Pleurer pour quoi, je vous le demande ? Passer sa vie à la regarder s'enfuir. C'est comme dans le train : il y a ceux qui s'asseyent dans le sens de la marche et ceux qui regardent le paysage défiler à l'envers. Il y a tellement de gens qui avancent à reculons. La nostalgie n'est jamais loin de leurs lèvres. La plainte qui déborde. Tout le monde se ballade avec sa petite plaie purulente.

Nous n'avons jamais eu autant de choses à faire et ils sont là, sur leur banc de touche, à regarder les trains passer. Forcément à ce rythme... La foi qu'ils avaient en eux se fait la malle et c'est l'océan de liquettes mouillées. Croyez moi, il est temps de nous remuer le coccyx. Ce n’est pas si dramatique que ça. Mais eux se sentent tellement à l'aise sur leurs bandes d'arrêt d'urgence. Toujours prêts à renoncer. Cette tendance à refuser ce qu'ils sont. Alors les enchères montent, montent jusqu'à ce que, tout à coup, ils se retirent de la course. La bulle explose, le soufflet retombe, et nous sommes censés compatir... Trouver naturel que tout s'effondre.

Croyez moi, je ne suis pas prêt à voir les choses sous cet angle là...

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